[MUSIQUE] >> Docteur Diagana, j'ai suivi votre semaine de cours. J'aurai quelques questions. C'est maintenant la règle, à la fin de chaque semaine on va débriefer ensemble ; je vais me permettre de poser quelques questions qui nous permettront de revenir sur certains aspects qui semblent importants dans la semaine de cours. La première chose sur laquelle j'aimerais revenir, c'est sur les stratégies d'accès au foncier. On peut citer des exemples très célèbres en Amérique latine, il y a quelques années, où des paysans prenaient possession de vastes terrains, pendant la nuit, et au petit matin, quand les autorités arrivaient, il y avait une ville qui s'était installée. Est-ce que ça, ça existe en Afrique? Où se mettent les gens dans la ville? Est-ce qu'on est exclusivement sur la périphérie, ou va-t-on au centre? Et ce que j'aimerais savoir aussi, c'est comment, concrètement, lorsque, une personne arrive dans un quartier pour s'installer, est-ce qu'elle s'installe naturellement, ou est-ce qu'il y a un chef de quartier qui donne l'autorisation? Comment ça se passe? Comment on négocie avec le voisin son implantation? >> Merci. Alors, ce que vous venez de dire par rapport au mode d'accès, en Amérique latine, et qui est bien connu, c'est la forme d'invasion, en quelque sorte. D'ailleurs, certains quartiers précaires portent cette appellation, invasione, c'est pas du tout ce qui se passe en Afrique. Parce que cela s'apparente à une forme de confrontation ; on va retrouver la même chose, mais sous d'autres formes ; on en parlera tout à l'heure. La forme la plus courante, la plus classique, c'est celle d'occuper un espace libre. Alors, les pauvres, quand ils viennent en ville, ils ne savent pas, a priori, lorsqu'un terrain est vierge, s'il appartient à quelqu'un ou s'il n'appartient pas à quelqu'un. Donc, ils occupent le terrain libre. C'est la forme la plus courante d'occupation et d'installation des quartiers précaires. Alors, des fois, c'est un terrain libre, mais libre de tout droit, mais des fois c'est un terrain libre, mais qui est déjà, soit attribué, ou alors qui appartient à l'État, et qui est dans le patrimoine privé de l'État. La plupart du temps, c'est la périphérie ; parce que l'occupation de la ville se faisant en tache d'huile, les terrains libres se retrouvent en périphérie. Mais il arrive que des gens squattent des terrains centraux parce que, soit ils sont mauvais, soit ils sont en attente d'être mis en valeur. C'est là où commence la confrontation avec l'administration, lorsqu'il faut reprendre ces terrains. Alors, naturellement, vous avez des situations exceptionnelles, comme, par exemple, ce qui s'est passé à Nouakchott dans les années 88, lorsque l'État a voulu stopper la progression des quartiers précaires, et a décidé de lotir des terrains et de les distribuer aux pauvres. Alors, cela, au lieu de régler le problème, a créé d'autres problèmes ; parce que beaucoup de gens sont venus pour aller squatter des terrains, à n'en plus finir, et penser ainsi accéder à la propriété foncière. Donc, je dirais qu'il y a deux formes ; généralement, on va en périphérie et on occupe le terrain libre, ou alors on occupe un terrain, même mauvais, qui est dans un interstice urbain, mais souvent qui est proche d'un bassin d'emploi, et qui limite les déplacements, et qui limite les dépenses sur plusieurs plans qui affectent l'insertion urbaine des ménages. Alors, ce que j'ai dit tout à l'heure par rapport à des pays, où encore la forme de teneur foncière coutumière est importante, exige naturellement que, lorsque vous venez dans des quartiers en cours de constitution, que ce soit un processus de négociations. Le voisin, le chef coutumier, qui vous prépare un lopin de terre ; ou alors, ce qu'on rencontre aujourd'hui, dans les quartiers en attente de régularisation, où les populations qui arrivent nouvellement doivent négocier leur insertion sur une parcelle de terrain déjà occupée, ou faisant déjà l'objet d'une appropriation. >> On comprend que >> les habitants des quartiers précaires, les habitants des bidonvilles, sont finalement des ménages trop pauvres pour accéder au marché officiel du foncier. Mais est-ce que, finalement, le squat, comme on l'appelle, n'est pas une forme de droit à la ville, parce que ces populations doivent bien vivre quelque part? Et, si elles n'ont pas accès au marché officiel, où vont-elles vivre? >> C'est tout à fait vrai. Donc cette forme de squat qui s'est généralisée, je rappelle simplement un chiffre, et c'est le chiffre de 2012 des Nations Unies, plus de 60 pour cent de la population des villes africaines habitent des quartiers précaires. Cela veut dire des quartiers dans lesquels on manque, encore, d'une emprise totale, sur le plan de la fourniture des équipements, sur le plan de la fourniture des emplois, c'est des sortes de petites cités dortoirs, qui doivent se débrouiller, mais en même temps, qui deviennent tellement importantes dans les villes, parce que le secteur informel, qui est ce secteur refuge, qui est ce secteur qui procure des revenus, du travail, de l'occupation, et qui, de ce fait, empêche la délinquance, empêche l'insécurité, permet à ces gens des quartiers précaires de vivre, pleinement, la ville. Une certaine forme de droit à la cité, que personne ne peut leur empêcher. Vous ne pouvez pas empêcher quelqu'un de venir en ville, de s'installer à la lisière, là où il n'y a pas d'eau, là où, en fait, là où vous ne lui faites rien payer. Alors ce qui gêne, c'est que, lorsque ces quartiers, maintenant, prennent de la consistance, notamment sur le plan de l'ancienneté, et qu'ils arrivent à atteindre une mixité sociale, ils deviennent en quelque sorte des quartiers comme tous les autres. Donc, il faut maintenant travailler à leur intégration ; donc, ce droit qu'on leur refusait hier, progressivement on leur reconnaît, comme tétant des parties intégrantes de la ville, dans une forme précaire, sousintégrée, mais qu'il faut élever progressivement comme des parties à part entière de la ville, et qui vont participer au développement de l'économie de la ville. >> Vous montrez les différents types de quartiers précaires ; on comprend qu'il faut les restructurer, qu'il faut >> les éliminer, dans le sens positif du terme, pour qu'il n'y ait plus de bidonvilles ; mais, est-ce que le fait d'éliminer un quartier précaire change véritablement la situation, puisque finalement c'est la pauvreté qu'on devrait éliminer? Est-ce que le quartier précaire n'est pas simplement la mise en espace de cette pauvreté, et changer cette mise en espace va-t-il avoir une incidence sur la pauvreté, qui est finalement la problématique de base? >> Alors, c'est le problème et sa solution qui se retrouvent en quelque sorte dans la formalisation de votre question. Alors, la pauvreté, elle a sa dimension spatiale. Elle a aussi sa dimension sociale, sa dimension économique. Je rappelle simplement ce que j'ai dit dans une autre phase d'interview, que depuis 2000 beaucoup de progrès a été fait sur la prise en compte de la pauvreté comme étant l'entrée principale dans la résolution des problèmes de la ville. Pourquoi? Parce que, lorsque vous faites en sorte que vous améliorez l'habitat, qui est une dimension importante de la pauvreté, celui qui est pauvre pense d'abord à manger avant de penser à sa maison, donc, vous lui ôtez une épine du pied. Donc ça veut dire que cette entrée physique, cette entrée spatiale, contribue, du fait même des multiples dimensions de la pauvreté. Donc l'entrée physique, en complément de l'entrée économique, qui est celle des revenus, qui est celle de, il travaille, il gagne de l'argent, il peut se prendre en charge. Donc on a compris de plus en plus, qu'en traitant l'espace on réduit la pauvreté, parce qu'on permet aux pauvres de s'investir ailleurs, dans d'autres secteurs, qui sont des secteurs porteurs pour son progrès, pour son émancipation, et pour son intégration en ville. De tout temps on a considéré que l'espace était important, et c'est pas seulement les pauvres ; on s'identifie à l'espace, on a parlé de ségrégation, à force, on arrive à vous identifier en fonction de votre espace de vie. Dites-moi où vous habitez et je vous dirai qui vous êtes. >> Ok, on parle d'informalité, on parle d'irrégularité, est-ce que on pourrait synthétiser en quelques mots parce que, si je vous ai bien écouté et bien compris, >> finalement dans certaines villes, il y a une majorité des gens qui vivent dans cette informalité, ou cette irrégularité, qui est toujours par rapport à une norme, qui est toujours par rapport à un droit, à un état. On sait que les normes changent également avec le temps. Mais on peut se poser la question, légitime, à savoir, si la grande majorité des habitants vivent dans l'informalité, est-ce que ce n'est pas simplement la norme? Est-ce qu'on ne devrait pas instituer cela comme une norme, et travailler à partir de là? >> On utilise parfois des mots différents pour qualifier la même chose. Et là, je conçois avec vous que la limite entre l'informalité et l'irrégularité, elle est difficilement perceptible. Du fait justement que l'informalité devient la règle, et que l'irrégularité, qui est une forme de caractérisation de l'informalité, n'est pas incompatible avec ce qui se fait aujourd'hui. Il s'agit simplement d'une évolution sémantique. On a parlé de, d'informalité et d'irrégularité, mais on parle volontiers plus aujourd'hui d'informalité par rapport à des droits, par rapport à des règles, par rapport à des usages. Et cela, on va l'évalué de tout temps sur le plan foncier, sur le plan administratif, sur le plan juridique. Vous avez raison, lorsqu'on prend 60 pour cent d'une ville, on dit qu'elle est informelle, alors on se pose la question de, mais, c'est quoi la règle? C'est le maximum, ou c'est le minimum? Donc ça nous oblige à revenir sur toutes ces notions-là. L'essentiel c'est que, il faut comprendre que, même s'il y a une évolution sur les termes d'irrégularité et d'informalité, cela se fait au regard du droit, mais aussi au regard de la perception des pouvoirs politiques. À partir du moment où on a la majorité qui vit dans l'irrégularité, on ne peut plus considérer que c'est intolérable ; donc, il faut trouver une solution au droit. Et c'est ce qui fait qu'aujourd'hui on travaille sur les processus d'accès, pour essayer de les conformer à des normes qui s'adaptent au mode de fonctionnement de chaque ville. >> Merci pour ces quelques réponses, on se retrouve la semaine prochaine >> pour un nouveau cours. >> Merci à vous. [AUDIO_VIDE]